Héritages
Jules Méline, ministre de l’agriculture, déclare en mars 1899 qu’il veut « décourager par avance les tentatives industrielles qui pourraient se faire jour dans nos colonies, obliger en un mot nos possessions d’Outremer à s’adresser exclusivement à la métropole pour leurs achats de produits manufacturés, et remplir de gré ou de force, leur office de débouchés réservés à l’industrie métropolitaine » (cité par René Dumont dans L’Afrique noire est mal partie). Cette orientation des premiers temps de la colonisation semble hélas avoir survécu aux Indépendances : dans l’Afrique subsaharienne, il y a toujours une grave déficience des industries de transformation des produits locaux (agricoles ou miniers) et de la production industrielle en général. Comment s’étonner dès lors de la très grande déficience aussi des établissements de formation Collégiennes. professionnelle ?
Dans tous les domaines à l’exception peut-être du secteur tertiaire, plus proche par certains .côtés de l’enseignement général qui formaIt ces cadres « moyens » dont les coloniaux avaient besoin.
ou enfants des rues ?
Quelques anecdotes
Nous visitons deux classes de 3° et, naïvement, je demande aux élèves de me dire quel est leur projet d’avenir. Dans le collège d’enseignement général la réponse fuse de tout côté : « réussir le BEPC ». Et après ? rien, le silence s’installe… avec le BEPC on se rangera demain dans la classe privilégiée, dans l’élite ! du moins aujourd’hui on l’espère. Et que disent les élèves du lycée agricole voisin ? Ils sont plus timides, mais après un moment silencieux, une main se lève, et l’audacieux répond « devenir fonctionnaire » ! Je regarde la ferme qui jouxte l’établissement, le périmètre maraicher, les volailles et les porcs… toute cette ambition de nourrir la population, de développer une agriculture durable, de remplacer les troupeaux errants par un véritable élevage, les élèves, et surtout les meilleurs d’entre eux n’en n’ont cure ! Ils se voient inspecteur, préfet, ministre … gratte papiers plus probablement ! Voire marginaux…
Et dans une école primaire de campagne, à la question « Quel est le métier de ton père ? », un gamin nous répond « il n’en n’a pas, il est paysan » ! Nul le savoir-faire des paysans ? Inutile leur rôle dans un pays où la faim menace la population – notamment dans les campagnes ?
Dès lors, nous admirons la sagesse de la ferme pilote de Guié : en quatre ans elle forme de jeunes agriculteurs au métier « d’aménageur rural ». C’est joliment dit ! Cela peut motiver les jeunes et après tout cela définit bien le travail qui les attend : faire reverdir le Sahel…
Enseignements burkinabé
Le Burkina manque cruellement d’ouvriers et d’agents de maîtrise qualifiés – tout comme de leaders paysans.
L’enseignement technique et professionnel reste très insuffisant : 9 établissements publics, toutes filières confondues, 9 aussi dans l’enseignement confessionnel. Et plus de 50 établissements privés, principalement pour le secteur tertiaire – mais trop souvent des établissements à but lucratif (cf. le « répertoire des Formations techniques et professionnelles de l’Organisation Internationale de la Francophonie »). Le constat, fait par les responsables du système éducatif eux-mêmes, est clair : “L’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de stratégies visant à combler ce déficit en compétences est une question urgente dont la solution ne peut plus attendre ».
L’éducation formelle (se déroulant dans le cadre scolaire, universitaire ou professionnel) ne parvenant pas à prendre en charge tous les jeunes, le gouvernement encourage la création d’organismes d’éducation « non formelle », qu'il inscrit dans une « stratégie de croissance accélérée et de développement durable ». L’éducation non formelle repose sur des formules variées qui débouchent parfois sur une réintégration dans le système « formel », mais qui, pour le moins, permettent l’alphabétisation et la formation professionnelle de ceux qui n’ont pas fréquenté l’école. Vocabulaire moré/français
Deux associations de Ouagadougou que soutient UNISAHEL s’intègrent de façon exemplaire dans ce mouvement d’innovations pédagogiques, faisant de la structure même d’un quartier déshérité un levier du progrès sociétal. Il s’agit de remplacer la mendicité ou la débrouille sous toutes ses formes - qui sont souvent les seules perspectives envisagées par les jeunes de ces quartiers - par une vraie qualification et l’ambition de s’insérer dans le développement du pays, par une éducation à la citoyenneté. La MJCA* ouvre dans son secteur un CEBNF (Centre d’éducation de base non formelle). L’ASECD** a mis en place pour les adolescents « de la rue » un réseau d’apprentissages que vient compléter l’alphabétisation dispensée au sein de l’association.
Le groupe St Philippe et la formation professionnelle
À Koupéla, le lycée Saint-Philippe a fermé sa section professionnelle « économie ménagère » et désormais, dans deux salles de classe, les machines à coudre et les cuisinières vieillissent, solitaires et empoussiérées. Mieux traitée – et probablement plus porteuse en terme de débouchés - la section de mécanique auto a repris son activité, grâce notamment au soutien de la « Fondation d’Auteuil ».
Le groupe St Philippe dispose aussi d’une annexe, un collège agricole dans le village de Lioulgou, situé à 25 km du centre ville. Ces jeunes élèves auront demain un rôle capital pour l’avenir du pays : lutter contre la désertification, valoriser les ressources en eau pluviale, nourrir la population ! Le changement climatique, la mondialisation , la pression démographique, … autant de mutations qui impliquent une évolution des pratiques agricoles et des savoirs… Seuls des jeunes correctement formés pourront répondre à ces défis du XXI° siècle !
Canaliser l'eau de la saison des pluies
L’enseignement professionnel coûte cher et peu d’établissements se lancent dans l’aventure ! Aussi est-ce avec beaucoup d’intérêt qu’UNISAHEL a accueilli et encouragé un nouveau projet du groupe St Philippe : relancer sa briqueterie et en faire un outil de formation. De briquetiers d’abord, capables de produire, à partir de la glaise locale, des briques crues et des briques cuites ; d’ouvriers maçons qualifiés ensuite qui, en guise de travaux pratiques, mettront en œuvre le projet gouvernemental : construire des logement sociaux de qualité, en zone urbaine, mais aussi dans le monde rural. Le « banco » a certes l’avantage d’assurer une bonne isolation thermique… mais il a le redoutable défaut de se déliter lorsqu’il subit une trop longue immersion dans les flaques créées par une forte pluie. Et une saison des pluies bénéfique pour les récoltes est parfois catastrophique pour les habitations des familles les plus modestes.
L’objectif est de créer des emplois qualifiés pour les jeunes ruraux, de leur assurer un avenir professionnel utile à toute la communauté - plutôt que de les voir gagner la ville, où aucun avenir ne leur est promis. Et même, pour les moins qualifiés d’entre eux, il reste une possibilité d’emploi : la charge de récolter la glaise et de l’apporter à la briqueterie grâce à un âne et une charrette. Un projet ambitieux, soutenu par la Coopération française, dont UNISAHEL suivra la progression et auquel il projette d’apporter une modeste contribution.
UNISAHEL de retour à Koupéla
Jacqueline Gascuel, secrétaire générale
Pour plus d'informations sur ces maisons
consulter leurs sites :
* MJCA <dunialavie.burkina.free.fr>
** ASECD <burkinafaso-asecd.com>